Politica Chaotica

La Magie du Chaos est-elle d’ultra-gauche révolutionnaire et terroriste ?

« Je chanterai à la manière d’un Ferré la lumière d’un anarchisme de fin de siècle ; prophète chuté du ciel on me dira “Lux Ferré”, car les mots sont comme des étoiles tombées du firmament » Communication n°8659 S.F. – Soror D.S.

Ceci est une réponse à des questions – et des critiques – portant sur la « politisation » de la magie du chaos au travers de mes écrits et, plus particulièrement, de la publication de textes d’Hakim Bey, anarchistes ou gauchistes sur KAosphOruS. Il est vrai que le ton y est plus « anarchisme spirituel » que « volonté de puissance évolienne ». Cela gêne semble-t-il ; il est donc grand temps de mettre les pointes sur les flèches de la chaostar !

Tout d’abord, abordons la grande question insensée et folle : la magie du chaos est-elle intrinsèquement de gauche ? La réponse va vous paraître rhétoriquement pauvre, car tout aussi creuse que la question elle-même : « ou pas ! » Car, enfin, comment un courant magique pourrait-il être de gauche, de droite ou du centre alors que l’on ne connaît pas avec certitude les fondateurs – et donc encore moins leur idéologie politique ? À de rares exceptions près, il est impossible de donner une couleur globale à un courant magique : le thélémisme est autant de gauche que de droite, même si le verbe du Liber AL tend vers une vision nietzschéenne du monde et du social ; l’école de la théosophie semble elle aussi pencher vers le gouffre d’une vision politique pour le moins racialiste, mais bien malin celui ou celle qui pourra dire « la théosophie est d’ultra-droite » ; le martinézisme est-il plus à droite qu’à gauche parce que défendant une position moralisatrice de l’homme ? Bref, ne nous égarons pas.

La seconde question qui nous vient alors à l’esprit est : la magie du chaos devrait-elle être de gauche ? Dans l’absolu la réponse est, bien sûr, non ! Qu’a à faire la Chaos dans les luttes sociales, la faim dans le monde, la pollution, l’exploitation des masses par une minorité de nantis ? Rien, la magie du chaos est une sorcellerie moderne qui vise, comme toute sorcellerie, à l’obtention de résultats, d’effets, de bénéfices personnels immédiats. Lorsque j’écris « personnels » je pense également à ces petits travaux que l’on peut réaliser pour sa meuf, un pote, une vague connaissance… La magie du chaos est tout d’abord et avant tout un moyen pragmatique et égoïste de satisfaction des besoins : je veux le dernier smart phone, j’opère un petit rituel et avec l’aide des dieux je l’obtiens. Où est la visée altruiste et sociale ? Le chaote n’est pas mieux que le sataniste qui envoûte à tour de bras afin d’imposer sa toute puissante volonté au monde et aux humains qui l’entourent.

Maintenant, si l’on considère la magie du chaos comme autre chose qu’un ensemble de techniques sorcières modernes, comme un moyen n’étant pas purement matériel, mais possédant un but global et final spirituel, alors, la magie du chaos peut et doit être de gauche, voire d’ultra-gauche – révolutionnaire, terroriste (dans le sens donné à ce terme par Hakim Bey) et sociale. Si l’on admet que la weltanschauung des mages peut modeler le monde, alors je préfère largement que celle-ci soit plutôt libertaire que fasciste. Mais que l’on m’entende bien, je ne prêche nullement pour une digestion du courant chaote par l’anarchisme, il ne s’agit pas ici de mener une opération d’entrisme de type trotskyste dans la taverne du chaos, il s’agit simplement et honnêtement d’un vœu pieux, d’un espoir ; l’espoir que la magie du chaos ne tombe pas dans le côté obscur du politique, ne devienne pas l’outil idéologique et pratique d’une frange de l’humanité dont les buts seraient de fondre l’humain dans la superstructure sociale rigide et libertifère.

Si la magie du chaos vise à libérer les mages des dogmes réducteurs, des habitudes, des lois et des atavismes, elle ne peut le faire qu’en modifiant la conscience du mage ; sa conscience de lui-même, la conscience de son rapport au monde, la conscience qu’il a de sa pratique et de sa finalité. En ce sens, la magie du chaos est à la magie et à la spiritualité ce que le communisme était à la politique : un matérialisme spirituel ! Une critique – dont la validité reste à prouver et à éprouver – du spirituel et donc du social. Si les mages peuvent quitter les prisons de fer des religions établies afin de s’ébattre dans les jardins d’une spiritualité renouvelée et ressourcée, ils peuvent bien alors abandonner la vision dualiste que l’histoire nous propose comme mode de fonctionnement des rapports humains : manger ou être mangé ! Homo homini lupus ne peut être qu’un aveu d’échec. Non que je puisse croire que tous les hommes soient frères et sœurs et que seul l’amour universel sauvera l’humanité. Je deviens vieux et légèrement moins utopiste que dans mes jeunes années. Non, à mon sens, et à un niveau purement et obligatoirement personnel, ma démarche magique – je préfère spirituelle – ne peut être en dichotomie avec ma démarche sociale ou politique. Humain plongé dans les rapports sociaux j’arrive au constat que ma pratique spirituelle ne peut qu’aller dans le sens d’un « mieux » pour ceux qui m’entourent. Ainsi, j’éviterai les termes de « bien » et de « mal » qui sont bien appauvris par une sur-utilisation : mon combat n’est pas moral ou moralisateur, mon combat, « mein kampf », est de faire ici et maintenant tout ce que je peux pour impacter le moins négativement possible le monde et les autres. Si je me contente de sorcelliser maléfiquement afin de satisfaire mes pulsions et mes désirs, alors il aurait mieux valu que jamais je ne sois né. Le reste, la révolution – pour quoi faire ? Élire un nouveau tzarko ? – la dictature du peuple, tout cela est un mauvais rêve : « Il n’y a pas de devenir, pas de révolution, pas de lutte, pas de voie ; vous êtes déjà le monarque de votre propre peau – votre liberté inviolable n’attend que d’être complétée par l’amour des autres monarques, une politique de rêve, urgente comme le bleu du ciel » (Hakim Bey, « Le Chaos & Mythes du Chaos par Hakim Bey »).

Ne dissociant pas ma démarche magique-spirituelle de ma démarche politique – homme de la cité – il est bien évident que ma perception et mon utilisation de la magie du chaos ne peuvent être QUE libertaire. N’en déplaise aux sots savants inventeurs d’embrouilles conceptuelles.

Cette position claire, et toujours affichée sur mes « zones occultes électroniques » (« ZOE » gnostique) mais aussi dans la « vraie vie », me pousse donc à diffuser ma propre weltanschauung dans le petit monde de l’ésotérisme francophone. Je ne suis pas un sage, un être de lumière – ni même un érudit philosopheur – j’écris ce que je pense, je publie ce que j’aime, j’aime ce que je fais. Mon but n’est pas de plaire ou de m’ériger en penseur doctrinal, que l’on relise donc l’avertissement qui est visible sur Morgane’s World depuis 1997 :

« Attention, ce site ne fait la publicité d’aucun mouvement spécifique. Il est juste le reflet des sensibilités particulières d’un individu. Si l’amalgame entre « anarchisme » et « ésotérisme » choque les puristes des deux « camps » et bien, il existe pour eux des sites exclusifs et ne traitant exclusivement que des sujets anarchistes OU occultistes. Le choix est donc libre pour tous. Dans cette optique, merci de ne pas citer l’auteur du site ou le site lui-même comme exemple à suivre ou à ne pas suivre. »

Je ne renie rien, je ne reviens sur rien de ce qu’alors j’écrivais.

Que dire alors sur ma soi-disant tentative de récupération de la magie du chaos dans l’anarchisme ? Je me suis expliqué par ailleurs sur ces accusations « politiquement correctes ». Enfonçons le clou, encore. Je ne propose que MA vision, MA perception et je ne demande à personne de s’encarter dans un non-parti politique afin de satisfaire je ne sais quelle pulsion malsaine. Je ne crois ni aux groupes ni aux gourous, fussent-ils politiquement engagés. La Magie du Chaos ne doit pas, ne peut pas, tomber dans une récupération à laquelle on voudrait me faire participer. Je ne sais si elle y perdrait son « âme », mais tout comme il serait malsain que la Chaos devienne une institution, un ordre – avec ses slogans, ses rituels figés – il n’est pas souhaitable qu’elle devienne une arrière-boutique de barbouzeurs.

« L’Anarchisme est mort, vive l’Anarchie ! Nous n’avons plus besoin du masochisme révolutionnaire ou de l’autosacrifice idéaliste – ou de la frigidité de l’Individualisme avec son dédain pour la convivialité – ou des superstitions vulgaires de l’athéisme, du scientisme et du progressisme du 19e siècle. Tout ce poids mort ! Les tristes mallettes prolétariennes, les lourdes malles bourgeoises, les ennuyeux porte-manteaux philosophiques – par-dessus bord ! » (Hakim Bey, « Couronne Noire – Rose Noire »).

Ceci posé, il est certain qu’un fasciste, tout magicien soit-il, ne sera jamais véritablement le bienvenu ici. Non que je cherche à défendre un pré carré – la magie du chaos – contre une invasion barbare menaçante. Non, je défends juste mon droit de dire et d’afficher ma préférence politique – à la manière d’autres qui affichent leurs préférences sexuelles ou culinaires. Devrais-je me censurer pour faire plaisir aux béats d’un apolitisme confus, aux évoliens et autres thulistes runisants ? Non, mille fois non ! S’ils veulent se repaître du festin nu d’une magie chaotique, grand bien leur fasse – live and let die ! – mais que l’on ne me demande pas de leur donner autre chose que l’extrême onction gnostique. S’ils veulent professer la spiritualité apolitique afin de mieux empapaouter le monde, très bien, mais pas avec mon concours. L’on sait très bien ce que le silence et le respect du droit à la parole peuvent signifier, en fin de voie ferrée, passant sous un « Arbeit macht frei », trop tard conscient qu’il fallait se battre avant de disparaître derrière le rideau de fumée…

En guise de conclusion, et de mise en garde aux blancs chevaliers et autres valets de Baphomet, je me permets de citer notre prophète du Comité Invisible :

« En attendant, je gère. La quête de soi, mon blog, mon appart, les dernières conneries à la mode, les histoires de couple, de cul… ce qu’il faut de prothèses pour faire tenir un Moi ! » (Comité Invisible, L’Insurrection qui vient)

Nous sommes avilis jusqu’à en perdre l’essence du combat. Ce qui compte n’est pas l’illusion de l’ennemi que l’on se crée, mais le symptôme qu’il représente dans notre morbidité. Un reflet dans un miroir incassable et en évasion constante. Si notre combat – pour la spiritualité, la liberté et tout le reste – est ce qui nous définit alors explorons-en la beauté au lieu de chamailler en technicolor par écrans interposés.

Spartakus FreeMann, au Nadir de Libertalia, 17 juin 2009 e.v.

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