C’est partout…
Dédié à xOv.
Lorsque l’on arrive sur l’autre rive d’un ailleurs aujourd’hui oublié, il est agréable de regarder derrière soi & d’évaluer ainsi le chemin parcouru. L’homme aime à mesurer par la distance physique son cheminement, fut-il purement spirituel ou du moins mental. Arrivé à une étape de sa vie, l’on aime à évaluer l’évolution, espérant discrètement avoir changé de position pour un mieux ou pour moins pire.
Je regarde en arrière, comme tout le monde, comme vous, je regarde cette rive que j’ai quittée pour arriver ici. Et je regarde cette étendue mouvante, aux formes indistinctes, je regarde cette eau qui est le reflet de mon passé… Cette aqueuse substance, matrice de ma mémoire & source de ma folie…
Je me revois sur l’autre rive, enfant encore, & pourtant déjà perdu. Aligné avec les « autres », paré pour le grand voyage de la vie, déjà ennuyé par le devoir de compétition & l’obligation d’exister. Je regardais les autres s’agiter dans leurs enveloppes égotiques, jouer des coudes pour se frayer un chemin & être parmi les premiers sur le départ de la grande course… J’étais las de les regarder & stressé, mal à l’aise, effrayé par tant d’inutiles mouvements. Lorsque le signal du départ a retenti, je suis parti moi aussi, pareil aux « autres »…
Une fois dans l’eau, c’est rassurant, on se dit que rien ne peut arriver puisque le dieu de cet univers a du veiller au confort & à la sécurité des participants, on se bat contre vents & marrées, on s’attarde parfois pour profiter d’un moment de repos, on risque la noyade par inconscience ou préférence. Dans cette eau il reste peu de temps à la réflexion & il est malaisé de chercher à percer les mystères des profondeurs ou de l’étendue des cieux, il est même dangereux de plonger la tête sous l’eau ou de regarder les nuages. Et pourtant, enfant fou, rêveur & simplet, je n’ai cessé, dès le départ, de regarder cette étendue bleue lumineuse et de scruter les beautés du ciel étoilé. Mes pensées furent toujours dirigées vers ce qui se trouvait là où même le regard se perd et l’esprit avec lui. Qu’importe si les autres avançaient bien plus vite, mieux, qu’importe l’eau saumâtre emplissant mes poumons & me faisant manquer de mourir étouffé. La beauté mérite bien un peu de cette amertume au goût de sel & de sang…
Les yeux et l’âme dressés vers les cieux, je cherchais l’illumination des sens, je m’absorbais dans la contemplation béate. Je me rendis vite compte que les « autres » nageaient en rond, tout sens de l’orientation perdu par l’immensité incompréhensible des Grandes Eaux. Ils semblaient même y prendre un certain plaisir, cherchant par leur course à trouver un réconfort dans l’inutilité de la tâche, espérant atteindre au but plus ou moins lentement. On fait de belles rencontres durant cette traversée. J’ai connu l’amour, l’Amour & l’Amère. Mais rien ne contente jamais le corps & l’esprit de manière plus absolue que la folie.
Alors, un jour, ou une nuit, je ne sais plus trop, je me suis questionné sur ce qui est en dessous, et j’ai commencé ma descente dans les ténébreuses profondeurs aqueuses. Plongé dans ce noir sans fin j’ai alors suivi les quelques rares lueurs émises par quelque poisson des grands fonds ou par quelque délire & fantasme de mon imagination.
Manquant de lumière & d’air, j’ai été pris de rage destructrice, j’ai dévoré quelques petits poissons peu appétissants afin de me repaître de leur fiel, j’ai répandu ma semence dans l’eau froide afin de la souiller & de l’avilir, j’ai séduit une sirène de cristal aux couleurs électro-spectrales, nous avons voyagé sous l’eau pendant quelques éons avant que je ne lui coupe la queue avec les dents, et que je ne lui ravisse le coeur & l’âme afin de m’essuyer le derrière avec. Abruti par le manque d’oxygène, ne sachant plus où se trouvaient haut & bas, gauche & droite, je me suis lancé dans une joute théologique avec Saint Paul & Jean Huss, & j’ai chanté les louanges des damnés & des exécrés de la création, ayant oublié mon origine & mon nom, je me suis joint aux requins-mangeurs-de-rêves, me nourrissant des espoirs déchus flottant dans l’eau sombre. J’ai croisé Choronzon, il avait la tête de ma mère & le sexe de mon père, j’ai ri devant lui, il a eu peur, je l’ai bouffé, j’ai gerbé.
Intoxiqué par sa putride chair, j’ai erré jusqu’en un lieu secret & improbable, un lieu de lumière au sein des ténèbres, un lieu de sainte damnation. Oh pas un lieu magnifique ni extraordinaire, un lieu commun, du commun de ces conversations sans âme auxquelles on fini par habituer son existence. Là, je me suis reposé, là je repose, rêvant à une autre vie, à la vie en surface, & parfois je me vois sous la forme d’une tortue géante avec des enfants sur le dos. Je me vois sur la rive, regardant le chemin parcouru & pensant combien il aurait été avantageux de se noyer dans les grandes eaux… Les rêves de la mort vivante sont parfois si réels…
Spartakus FreeMann, juin 2005 e.v.
Merci Spart. …et dans nos yeux s’allume une flamme quand les montagnes violent le soleil…